"Je retiens mon souffle les yeux écarquillés je regarde le grand inconnu. Danielle la jeune femme qui est rentrée en même temps que lui va s’asseoir seule. Il ne regarde pas dans sa direction. Il avance à grand pas et s’assoit à côté d’une très jolie fille Judith. Mon cœur se noie de chagrin jamais je ne pourrais m’habiller, me coiffer et surtout me maquiller comme elle jamais il ne pourra s’intéresser a moi.
Mais je n’ai pas beaucoup de temps pour m’apitoyer sur mon sort. Il se passe quelque chose de bizarre, quelqu’un prend la parole et déclare qu’il est inadmissible d’avoir une revue étudiante de la faculté des lettres avec un directeur étranger il pense que c’est illégal, un brouhaha s’ensuit, un vote et puis un grand silence. Le bureau de direction de la revue a été renvoyé.
Un des individus responsables de ce chambardement se tourne vers nous, vers ceux que Gérard Etienne avait appelé les petits jeunes et nous offre de prendre les places devenues disponibles. Ils nous offrent un poste au bureau de direction d’une revue littéraire quelle tentation!. Dans ma tête à toute vitesse se bousculent des idées contradictoires. Est-ce que je vais me sacrifier pour un inconnu? J’ai tellement envie de publier mes poèmes. Il se lève quitte la pièce et s’en va discuter ferme avec Judith Je serre les dents, j'ai envie de pleurer. Non même si ça n’est pas pour lui, c est une question de principe je ne mangerai pas de ce pain là. Je n’accepte pas l’injustice. Je me lève, je jette un coup d’œil à côté, il est debout, il parle, il ne me voit pas. Je vais partir, il ne saura même pas que j’existe, mais j’ai la conscience tranquille.
Je vais chercher mon manteau. J’ai un plan, je sors dans les escaliers mais je ne pars pas vraiment, je me mets à les descendre et à les remonter à reculons, j’ai peur que quelqu’un sorte et voie mon manège. Mais je m’obstine et je continue pendant une éternité. La porte s’ouvre, j’ai l’air de venir à peine de sortir.
Un groupe sort qui entoure Gérard Etienne, je descends en même temps qu’eux. Il y a cinq étudiants, ils veulent aller au café étudiant au Bouvillon je ne suis jamais allée là mais il faut que j’aie l’air à l’aise. Tout le monde est d’accord sauf lui, il veut rentrer chez lui étudier. Je me dis que peut-être il n'a pas l'argent pour se payer une bière, je me glisse à côté de lui et je dis : mais c’est ta fête aujourd’hui alors on te paye un pot. Il me regarde étonné et répond : non ça n’est pas ma fête. Je suis désolée qu’il ne veuille pas mentir et profiter de l’offre. Je n’ai pas d’autre choix que d’insister. Heureusement les autres m’aident et finalement il se laisse convaincre.
On nous propose une grande table ronde il fait le tour et s’installe au fond je fais la même chose pour m'assoir près de lui. Tous sont d’accord il faut que dès demain Gérard rencontre l'exécutif de l’AGEUM pour voir quel sera leur point de vue sur l’injustice qui vient de se produire. Puis on devise de choses et d’autres et les étudiants qui nous ont accompagnés manifestent de la curiosité et l'un après l’autre ils me demandent de les rencontrer le lendemain. Je m’amuse à donner aux uns et aux autres de huit heures à midi des rendez vous à U 1 la salle de rencontre des étudiants en Lettres. Satisfait ils s’en vont, nous restons seul. Pas longtemps. Un serveur s’approche et nous demande de nous déplacer, nous serions moins visibles, dit-il, derrière le poteau. Je me redresse comme une poupée mécanique, en colère et je dis à Gérard : on s’en va. Dehors c’est l’été indien il fait doux. Gérard me propose de marcher un moment. Je pense à toutes les histoires que je connais, au proverbe "à beau mentir qui vient de loin". Qui est cet étranger ? Il est si grand, si fort, si beau, je suis envoutée, mais pas au point de perdre la tête. Je lui demande :es-tu un homme libre? Il me répond sans hésitation "Oui je suis libre". Je lui demande de le jurer, il le jure. Puis il me raccompagne un bout de chemin, il faut que je me dépêche, je ne suis jamais rentrée si tard. Avant de nous quitter, il me donne rendez-vous le lendemain à midi à la bibliothèque des lettres. Je pars en courant Mon père m’attend à la porte inquiet, il ne pose pas de questions.
Le lendemain je m’amuse à rencontrer d’heure en heures tous ceux que je devais retrouver. Mais le vrai rendez-vous est à la bibliothèque, je monte les escaliers, quatre à quatre. Au moment où j’atteints la porte, il sort un cahier en main, l’air préoccupé. Très sérieux, il me déclare que désormais je suis son amie, il m'explique que c'est une expression québécoise qui veut dire que nous avons une relation exclusive. Mon cœur bat la chamarde, mais il ajoute qu’il n'a pas le temps de parler plus, il faut qu’il retourne étudier. On se parlera plus tard. Je pense en moi-même que j’aime son sérieux. Je me laisse emporter par mon destin je ne sais pas où il va me mener.
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